S’il est un territoire qui irrigue de sang et de sens l’Histoire humaine, c’est bien la Méditerranée. Pont liquide entre trois continents, elle en est aussi devenue une manière de frontière que nombre d’États de son pourtour voudraient ériger en guise de réponse aux détresses que portent, comme un ultime patrimoine, des réfugié-es dont elle devient, désormais, le tombeau.

Porté par une équipe de journalistes passionné-es par cet espace, le site d’informations 15-38 Méditerranée nous propose son hors-série papier annuel. Ce troisième opus consacre son dossier spécial au Liban.

En août 2020, un entrepôt explose sur le port de Beyrouth, la capitale libanaise. Y étaient consignées près de 3000 tonnes de nitrate d’ammonium. La déflagration détruit une bonne partie de la ville. Faisant plus d’une centaine de morts et des milliers de blessé-es.

Touché, jamais coulé

Dernier avatar d’une longue suite de catastrophes, l’explosion porte toutes les tares dont souffre le pays : l’incurie politique qui s’appuie sur une riche oligarchie indifférente se traduit par une déshérence économique et financière qui met le Liban à genoux.

Martyrisé par une histoire contemporaine dessinée par des guerres civiles alimentées par les conflits régionaux, le pays du Cèdre paraît pourtant un symbole de persévérance. Abattu on ne sait combien de fois, le Liban semble devoir toujours se relever.

C’est le cœur du dossier que la revue lui consacre. Pour preuve le titre : « Liban, tomber, manifester, se relever« . Ainsi, entre reportages, analyses et interviewes, on (re)découvre un pays économiquement ruiné, miné par un système politico-confessionnel prédateur aveugle et déconnecté mais dont la population ne baisse ni les bras ni les yeux.

Partir pour survivre

Ainsi, si la longue et passionnante analyse que consacre Coline Charbonnier aux « racines de la crise économique libanaise » est éprouvante, elle n’en demeure pas moins d’une lecture indispensable. La journaliste, qui a vécu et travaillé à Beyrouth, apporte ce qui permet de cerner d’un peu plus près les causes anciennes qui ont conduit le Liban à la faillite.

On comprend, dès lors, mieux pourquoi, en octobre 2019, des Libanais-es éreinté-es descendent dans les rues du pays pour  » la Thawra « , une révolution pacifique mais tenace.

La ruine économique, la misère qu’elle génère et le manque de perspectives sont patents. Comme le souligne les portraits qui ouvrent la production. « On fera tout pour quitter le Liban » affirme ainsi, à Inès Gil, Fadi Karbajha, père de famille tripolitain. Contraint par la crise, il tente de fuir en traversant la Méditerranée. Rattrapée par la tempête, l’embarcation où se masse une trentaine de passagers est interceptée par les autorités chypriotes et ramenée au Liban.

Un écho populaire

Les luttes populaires qui ont marqué le nord de l’Afrique (Hirak algérien) et l’est méditerranéen (Thawra libanais) font écho à celles qui ont secoué Marseille, la capitale provençale. Et réciproquement.

Le reportage réalisé par Nina Hubinet au cœur du MacDo de Saint Barthélémy, dans le 14e arrondissement marseillais éclaire cette résonance. On y retrouve les protagonistes d’une lutte syndicale qui ont, en 2018, refusé d’être sacrifiés sur l’autel d’une session entre le géant de la malbouffe étasunien et un repreneur local.

Depuis, le lieu est devenu une plateforme d’aide alimentaire vitale pour nombre de marseillais-es comme le précise à Nina Hubinet, Myriam, active récupératice des invendus commerciaux : » S’il n’y avait pas eu le MacDo, […] ça n’est pas le coronavirus qui aurait tué les gens ».

La revue tire ainsi le portrait d’un monde méditerranéen riche, convulsif, inventif et furieusement réfractaire à toute forme de renoncement.

Des leçons de vie(s) en 75 pages qui, par delà les volontés de repli qui hurlent sur chaque rive de la mer intérieure, portent les voix multiples des peuples qui l’ont inventée.